Page 5 - Think Culture 2019
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Laurence Engel
Présidente de la BnF
Denis Ladegaillerie
Président de Believe
« On n’innove jamais mieux qu’en respectant son identité »
« Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un devoir d’innovation. La BnF y a recours, pour améliorer la relation au public, renouveler les services rendus et produits, et aussi transformer son mode de fonction- nement. Ce faisant, nous cherchons en réalité à réaliser nos missions le plus efficacement possible. Pour durer, il faut s’adapter, et donc innover.
Le secteur de la culture est souvent associé à l’ancien monde alors qu’il est souvent du côté de l’inno- vation, ne serait-ce que parce que dans ce secteur des nouvelles formes ne cessent d’être inventées. Au sein de la culture, le monde du patrimoine subit ce paradoxe avec une intensité particulière, parce qu’on l’enferme le plus souvent dans une sorte de permanence, confondant la permanence de ses missions avec la manière dont on les réalise. La BnF est perçue comme l’hypercentre de la tradition du patrimoine, alors même qu’elle est aussi devenue, depuis 20 ans, un acteur important du monde digital. Elle a simple- ment compris que le monde digital, qui est le monde de l’indexation, de l’organisation des savoirs, de la
production de données, en réalité est son monde, qu’elle y est à l’aise. J’en tire cette conclusion : on n’innove jamais mieux qu’en respectant son identité, et en agissant dans son cœur de métier.
Comment appliquer ces principes dans le domaine du financement ? Le modèle économique de la BnF repose à 90 % sur les financements publics. L’enjeu attaché à la conservation de la mémoire collective relève de la notion de bien public au sens strict. Il n’y a pas de rentabilité ni de monétisation à en attendre, et nous peinons donc à trouver un modèle économique qui nous dispense de ces financements publics.
Dès lors, nous essayons de nous transformer en laboratoire de toutes les innovations en matière de financement, de toutes les interrogations, sur le mécénat, le travail d’optimisation, la question de la tarification des services, l’hypothèse du partenariat public/privé... Nous explorons tout cela, sans pour autant avoir trouvé de solution miracle parce qu’il n’y en a pas. »
« S’il y a les talents,
les financements existent »
« Deux éléments ont fait la capacité de Believe à se développer : l’innovation - notamment technologique - et le financement. Les deux sont très liés : depuis la création de la société, 300 millions d’euros ont été levés pour devenir le leader mondial de la distribution numérique d’artistes.
Deux innovations ont bouleversé l’écosystème de la musique enregistrée : l’invention du format MP3 au milieu des années 90, qui a amené une révolution des usages, à la fois dans la consommation et dans la distribution ; et la place centrale prise par les algorithmes dans la distribution des contenus. Une grande partie de la musique que nous distribuons est créée par des artistes chez eux, les studios étant des ordina- teurs équipés de logiciels très simples. Au départ, notre conviction est que digitaliser la musique permet de l’envoyer directement à Apple, y compris pour des artistes en tout début de développement. La technologie a permis de créer un nouveau marché.
L’an dernier en France, la moitié du marché était liée aux ventes de disques. Dans cet ancien monde, la clé est de convaincre TF1, RTL ou NRJ pour amorcer les ventes de CD. Et il y a un autre marché, avec de jeunes artistes et un jeune public qui va sur YouTube, Instagram, Facebook. Dans le monde digital, la clé est de convaincre l’algorithme de YouTube de propager la musique auprès des audiences les plus larges. Pour cela, il faut produire du contenu avec une certaine fréquence et une certaine typologie.
La musique enregistrée est à financement 100 % privé dans la plupart des pays du monde. En France, le financement public, principalement par le crédit d’impôt, a été important dans la transition d’un monde à l’autre.
La clé aujourd’hui la plus importante dans la musique enregistrée est de trouver des talents, d’être capable de trouver des gens qui comprennent le nouveau monde, qui développent des technologies ou des métiers pour adapter notre métier. S’il y a les talents, les financements existent. »
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